Francisco Barrachina Echegoyen, portrait d’un Bardenero.

S’il est des hommes qui ont consacré toute leur vie aux Bardenas, Francisco Barrachina Echegoyen était assurément l’un d’eux. Francisco était un pur bardenero, mais qui se souvient de lui aujourd’hui ?

Cet homme jovial et souriant est né en 1929 à Carcastillo, une bourgade navarraise située au nord des Bardenas.
Toute son enfance se passa dans la ferme familiale où, très tôt, il s’impliqua dans certaines tâches comme celle de s’occuper des vaches avec son frère ainé.
En automne et en hiver de chaque année, il aidait sa mère à préparer divers aliments pour quelques bergers pyrénéens venus dans les Bardenas afin d’y faire paître leurs brebis. Les relations avec les montagnards étaient très courtoises, amicales, presque familiales.
Son père exerçait la profession de Garde dans les Bardenas et avait la fonction de Chef d’équipe.

À l’âge de 12 ans, lorsqu’il quitta définitivement l’école, Francisco se consacra à plein temps au bétail de la ferme. Il arrivait aussi, de temps à autre, qu’il aille aider son père dans les Bardenas afin d’y réaliser divers travaux d’entretient, notamment en ce qui concerne la remise en état des pistes, si fragiles et vulnérables à l’érosion.
Lors de la construction du canal de Navarre, il fut employé comme assistant du comptable et du topographe, mais son père exigea de lui qu’il quitte cet emploi et qu’il le rejoigne dans les Bardenas.

Ainsi, au début des années 1960, Francisco commença à travailler comme Garde dans les Bardenas avec la promesse de ses supérieurs d’accéder un jour au poste de Chef des Gardes.
Cette promesse, il en attendit la concrétisation durant des années… en vain.

Au début de sa carrière les Bardenas manquaient sérieusement de voies de communication, il fallait souvent faire de larges détours pour accéder à certains lieux et la majeure partie du territoire était inaccessible en automobile, les Gardes se déplaçaient donc au mieux à cheval ou à dos de mule, au pire à pied.

Francisco.
Francisco Barrachina Echegoyen

Francisco mit alors à profit ses connaissances en topographie acquises quelques années plus tôt pour créer de nombreuses pistes et rendre ainsi la circulation plus aisée et plus rapide. Pour ce faire, il acheta avec son ami José Javier Ezpeleta une machine au gouvernement de Navarre afin de réaliser le tracé, le nivellement et l’entretien des nouvelles pistes.

À l’époque les Bardenas ne bénéficiaient d’aucune mesure de protection particulière, ce n’était ni un Parc Naturel ni une Réserve de Biosphère. Mais malgré tout les Gardes ne manquaient pas de travail, ils étaient chargés de veiller au respect des règles relatives à l’agriculture, au pastoralisme et à la chasse, ils travaillaient au reboisement de certaines zones (dans et autour des Bardenas), et étaient chargés de la création et de l’entretient de points d’eau destinés à l’abreuvage du bétail. Francisco participa aussi à la création du grand lac del Ferial (el Plano).

L'équipe des Gardes des Bardenas, durant les années 80.
Cette photo date probablement des années 80, Francisco se trouve tout à gauche, l’homme à la chemise blanche et aux bras croisés est Juan José Martínez (secrétaire des Bardenas), et les trois hommes en uniforme sont des Gardes des Bardenas.
Tous sont aujourd’hui décédés.
Le jeune à la gauche de Francisco n’a pas pu être identifié, nous ne savons pas qui il est.

Le travail des Gardes n’était pas sans risques, car Francisco a souvent eu affaire aux braconniers. Lorsqu’il les interpellait il contrôlait tout d’abord leurs papiers d’identité, puis il inspectait systématiquement l’intérieur de leurs véhicules pour vérifier si du gibier n’y avait pas été déposé. Il arrivait parfois que les braconniers se montrent agressifs envers Francisco, les contrevenants se sentant pris au piège étaient tendus, nerveux, et potentiellement dangereux. Un jour, justement, Francisco crut sa dernière heure arrivée : à l’occasion d’un contrôle de braconniers pris en flagrant délit, ces derniers tournèrent le canon de leurs fusils vers lui ; bien heureusement il n’y eut pas de fin tragique à cette histoire.

Les armes à feu, Francisco a toujours refusé d’en porter une alors que son statut le lui permettait ; il disait « si tu ne portes pas d’arme, tu ne l’utilises pas ». En fait, il n’utilisait le fusil qu’à une seule occasion : le jour de la San Miguelada, au moment de l’entrée des brebis dans les Bardenas, en tirant un seul coup en l’air.

Passages moutons.
Francisco, fusil à la main.
Le jour de la San Miguelada dans les Bardenas en 1985. Francisco tire un coup de fusil pour annoncer l’entrée des brebis, et ensuite il est chargé de compter le nombre total de bêtes dans chaque troupeau.
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Réunion entre bardeneros.
Près du Sanctuaire de Sancho Abarca (la Negra) avec d’autres Gardes.
Francisco se trouve sur la gauche, souriant, il regarde l’enfant.

Jusque dans les années 90 les Bardenas étaient très peu fréquentées, même les habitants des villages proches ne s’y rendaient pas. Les autochtones de l’époque avaient très peu d’estime pour ces paysages désertiques, à leurs yeux les Bardenas n’étaient qu’une terre sèche, poussiéreuse et caniculaire, donc sans véritable intérêt.
Francisco voyait les choses autrement, il aimait passionnément les Bardenas, ce territoire était toute sa vie. Il prenait plaisir à emmener ses enfants avec lui lors de ses rondes, il appréciait profondément ces vastes espaces de solitude, alors oui, en ce temps là les Bardenas étaient un vrai désert.
Puis les Bardenas ont commencé à être à la mode. Des touristes en mal d’exotisme, notamment venus de France, commencèrent à venir, chaque année plus nombreux qu’auparavant. Le tourisme ne posait pas de problèmes à Francisco, tant qu’il était respectueux du territoire.

Près d'un point d'eau.
Toujours près d'un point d'eau.
Contrôle des écrevisses dans un plan d’eau avec d'autres gardes.

Francisco prit sa retraite en 1997, au lendemain de ses 68 ans. Il aurait souhaité se retirer à l’âge de 70 ans mais la fatigue était devenue trop grande, sans parler (selon ses dires) de l’harcèlement qu’il subissait régulièrement de la part de monsieur Gayarre (président des Bardenas).
Aussi, sur la fin de sa vie Francisco ne semblait plus vraiment apprécier se rendre dans les Bardenas, non pas qu’il ne les aimait plus, mais voir la manière dont était géré le territoire lui faisait très mal car les nouvelles décisions allaient souvent à l’encontre de ce qui avait toujours été, tout avait changé, trop changé. Et c’est sans parler des corruptions, chantages, pots-de-vin, et des conflits divers,… tout cela Francisco ne l’a jamais accepté.

La lassitude et les rancœurs étaient donc à leur comble, pour preuve, un jour l’abbé du monastère de la Oliva lui demanda de se présenter à l’assemblé générale des Bardenas, mais Francisco refusa net afin de ne pas être dans l’obligation de côtoyer monsieur Gayarre, responsable selon lui d’une gestion désastreuse des Bardenas.

L'équipe des Gardes du désert des Bardenas.
Quelques Gardes des Bardenas. Francisco se trouve tout à droite.
Francisco.
Ci-dessus : Francisco organise une visite guidée pour un membre du gouvernement de Navarre.
A droite : Des côtelettes d’agneau cuites en grillade, un classique dans les Bardenas.
Francisco.

Retraité, Francisco se consacra exclusivement au verger hérité de son père à Carcastillo, ce lieu devint son refuge jusqu’à l’âge de 83 ans. Après, frappé par la maladie, il s’affaiblit considérablement puis décéda le 22 septembre 2015.
Francisco repose actuellement au cimetière de Carcastillo.

Un authentique bardenero s’est donc éteint, déjà tombé dans l’oubli, mais lorsque vous viendrez dans la région et que vous roulerez sur les pistes poussiéreuses des Bardenas, ayez une pensée pour Francisco. Car sans lui vous ne pourriez admirer tant de beautés naturelles, les pistes sont son œuvre.

Francisco, sur la fin de sa vie.
Francisco, sur la fin de sa carrière, ici en 1995.

Texte rédigé en octobre 2015